19 novembre 2014

Zoom sur... le régime "paléo"

S'il est un domaine dans lequel les effets de mode sont omniprésents, c'est bien celui de l'alimentation. Sous couvert de bienfaits pour la ligne ou pour la santé et appuyées par la science, de nombreuses théories alimentaires fleurissent ça et là. Régime Dukan, par groupe sanguin, hyper-protéiné, à IG bas, Seignalet, ayurvédique, macrobiotique, vegan, pesco-lacto-ovo-végétarien, instinctivore, crudivore, frugivore,... chacun de ces régimes est censé, à sa manière, livrer LA vérité, LA méthode universelle, fondamentale et essentielle afin de se nourrir bien, de se nourrir vrai. Jamais l'alimentation ne nous aura autant questionné, n'aura autant été théorisée et pensée ; pourtant, s'alimenter est l'un des besoins les plus essentiels et primaires : ne devrait-il donc pas être satisfait de manière naturelle, instinctive, pulsionnelle, même ? Le savoir-manger n'est-il pas inné ? Apparemment pas.

Les régimes santé et minceur sont légion.

N'oublions pas l'évolution


De deux choses l'une : d'abord, la civilisation est une construction ; à l'instar de la cuisson qui nous a fait passer de la nature à la culture, la civilisation nous a conduit de la satisfaction de besoins immédiats et instinctifs à l'anticipation et la recherche du profit. Par ailleurs, l'être humain a cette capacité de toujours viser mieux, chercher le ravissement, le raffinement. J'en veux pour preuve la gastronomie qui n'est rien d'autre que la sophistication de la cuisine, elle-même sophistication alimentaire permise par le feu, l'outillage, la technique... en somme : le résultat de L’ÉVOLUTION.

Je vous dis ça, l'air de rien, mais je me questionne : si l'alimentation avait été parfaite par le passé (comme le suppose le régime "paléo" et d'autres), si l'Homme était alors satisfait, bienheureux, pourquoi a-t-il tout bousculé ? Quelles sont les raisons qui nous ont fait nous éloigner de l'alimentation originelle ? Qu'est-ce qui nous a motivé à modifier à tel point notre nourriture ? Et de nos jours, qu'est-ce qui nous pousse à chercher LA vérité alimentaire, à faire des choix, à exclure certains aliments et à en consommer d'autres en abondance ? Quelle est cette quête de l'alimentation juste et bonne, d'un mode de vie sain et éthique ? D'ailleurs, existe-il une vérité alimentaire unique et universelle ?

Assurément, il me semble que l'humain a cherché à modifier son mode de vie afin de l'améliorer ; ainsi, je crois illusoire de penser que tout était mieux avant, plus adapté, que c'est vers cela qu'il faut tendre. Je ne dis pas que nous ne sommes pas dans l'erreur aujourd'hui, ni qu'il est idiot de s'inspirer du passé ; simplement, il me semble déraisonnable d'idéaliser le passé, tout comme il me semble insensé de miser tout espoir sur les avancées prétendument scientifiques et les découvertes technologiques modernes, comme lancés après une impossible quête du Graal. Nous sommes en perpétuelle évolution et le bon déroulement de celle-ci, si je ne m'abuse, dépend d'un juste équilibre entre respect de notre nature profonde et adoption progressive de nouveauté. Ne dit-on pas "Petit à petit, l'oiseau fait son nid" ?

"Paléo-mutations"


Ici un point que les adeptes de la paléo-nutrition paraissent oublier : le néolithique est passé par là avec son lot de modifications génétiques. D'un point de vue génétique, il est évident que nous nous sommes adaptés à la consommation des céréales et assimilés. Ce n'est pas moi qui le dit, vous vous en doutez : j'ai simplement posé la question à Evelyne Heyer, biologiste et professeure en anthropologie génétique, lors d'une conférence qu'elle donnait à la Cité des Sciences et de l'Industrie en novembre 2014. D'ailleurs, dans la revue Néosanté n°19 de janvier 2013 qui consacre un article au régime "paléo", on peut lire : "Ce sont les gênes qui déterminent les besoins physiologiques, notamment nutritionnels". Alors si les gênes le disent... Pourquoi les contredire ?

Certains ouvrages de nutrition "Paléo" comptent parmi les meilleures ventes

Je ne rejette pas en bloc les conseils alimentaires évoqués par la "Paléo-nutrition" et je ne nie pas non plus qu'ils puissent entrainer une meilleure santé. Je dénonce simplement la dérive qui consiste à ignorer l'évolution de l'être humain et celle de son génome ; et par là même à sacraliser l'époque Paléolithique comme l'âge d'or de l'humanité et à diaboliser par conséquent notre époque moderne. De plus, se nourrir comme au Paléolithique me parait tout à fait utopique : notre environnement a lui aussi évolué, tout comme notre habitat, notre goût,... Pour véritablement"manger "paléo", il faudrait donc aller en forêt cueillir ses herbes et ses baies, chasser l'élan (à l'ancienne ?) et manger avec frugalité ce que l'on trouve ça et là. Cela me semble difficilement applicable. Enfin, prétendre qu'on mange "paléo" alors que l'on vit en ville, que l'on consomme des produits de l'agriculture et que l'on dort confortablement dans un lit douillet me parait hypocrite. "Inspirée du Paléolithique" me paraitrait une appellation bien plus honnête. Ce serait rendre hommage à la sagesse instinctive de nos lointains ancêtres tout en en reconnaissant les faiblesses.

"Néo-ethique"


J'imagine, et il n'y a donc rien de scientifique dans cette supposition, que nos ancêtres ont cherché à satisfaire leurs sens, encore et toujours. Le plaisir et le déplaisir me paraissent être les deux pôles moteurs primaires qui permettent de guider nos actions, du moins à un premier niveau de conscience. C'est un point essentiel en Ayurvéda : rester esclave de nos sens c'est se laisser guider par nos pulsions et ignorer nos besoins subtils, invisibles. Ainsi l'Homme aurait-il raffiné son alimentation à l'extrême et par-là privilégier le plaisir au détriment de préoccupations nutritionnelles, de la physiologie et de ses besoins fondamentaux pour conserver la santé.

Et aujourd'hui quelles sont nos motivations à chercher la voie véritable ? Exactement l'inverse : nous pensons avoir appris, compris nos besoins ; nous cherchons donc en toute logique à nous discipliner, à théoriser afin d'être en cohérence avec ce que nous pensons savoir être bon. Nous recherchons également souvent l'éthique, la sagesse, l'harmonie avec notre univers et avec Dieu (quelle que soit l’appellation qu'on lui donne).  Ces motivations nous poussent à présent à réajuster nos habitudes, lesquelles, si elles s'installent durablement, deviendront facteur d'évolution ; pour notre espèce mais également pour notre environnement. Nous adoptons de nouveaux comportements car ils nous apportent plus de satisfaction que les précédents. Cependant, nous n'en maitrisons pas les conséquences et nous ne contrôlons pas, ou pas encore, la manière dont ils influeront sur le futur.

Retour à l'équilibre


On m'opposera certainement le cas du lait, dont les effets délétères sont aujourd'hui bien connus et pour la consommation duquel une grande partie de la population est génétiquement adaptée. Un génome adapté ne signifie pourtant pas une absence de conséquences néfastes. C'est ici que l'idée-maitresse d'équilibre me parait essentielle : une faible consommation de laitage est tout à fait admissible, accompagnée d'une alimentation par ailleurs compensatrice. C'est une question de juste équilibre. Je ne crois pas connaitre un seul aliment qui puisse être consommé en excès sans effet indésirable. Faut-il encore quantifier l'excès, et c'est là, je pense, l'un des rôles de la médecine.

Par ailleurs, j'aimerais souligner un autre point d'importance : Il me semble que nous connaissons une tendance à la massification des modèles. Je veux dire par là que nous cherchons un modèle universel, unique, qu'on appliquerait à l'ensemble du genre humain. C'est oublier les disparités, ne serait-ce que génétiques, qui subsistent encore dans le monde. Il me semblerait plus juste et raisonnable d'individualiser, de ne pas chercher à établir de grandes vérités, de grands systèmes dogmatiques. Avoir une démarche de vérité est une chose ; croire avoir trouvé cette vérité et vouloir l'appliquer sans distinction en est une autre. Ici apparait la difficulté : maintenir l'équilibre tout en laissant libre cours à l'évolution ; l'intégrer. C'est infiniment plus subtil que de s'installer dans des schémas rigides et immuables, vous ne croyez pas ?

Références et sources d'intérêt

Paléo Nutrition, Thierry Souccar Editions
Article de lanutrition.fr
Les 3 règles d'or de l'alimentation "Paléo"
Paléo Régime : aliments interdits
Reprendre en main sa vie et sa santé, Yves Patte
 Passeport Santé
"Au plaisir de nos gènes", Néosanté n°19, janvier 2013

2 commentaires :

  1. Bonjour Morgan,
    Ce sujet et les questions qu'il soulève est très intéressant. Je suis en plein dans cette recherche de l'équilibre alimentaire bon pour moi ces derniers temps et je suis entièrement d'accord avec ton point de vue partagé dans le dernier paragraphe.
    Merci pour cette réflexion! :-)

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